"C’est la maman de Soren ! Bonjour maman de Soren"
Alors que je marche vers la classe de mon fils, un écho se répercute sur des petites bouilles inconnues... Si moi je ne connais pas le nom des enfants de sa classe, chaque adulte ici, malgré le brouhaha apparent, est attentivement relié à un enfant de la cour.
Il y a une semaine, j’ai accepté de venir parler de mon métier à une classe de 3ème maternelle.
Oups me suis-je dit après coup, mais... quel métier au fait ?
La tête dans des cartons je me suis dit ensuite que bon, faute de pouvoir montrer mes livres, j’allais montrer ceux des autres, après tout, on est là pour s’amuser. Tiens en parlant de livre qui n’existe pas, je ferais bien de prendre des dessins un peu colorés...mmmh... mais j’en ai en plus !
Je vais faire simple : je vais expliquer que je dessine, et que pour gagner ma vie, je suis prof dans une école supérieure d’Art pour les jeunes adultes qui voudraient aussi dessiner. (cf joannalorho.tumblr.com), (cf Erg)
Retour dans la classe donc, et surprise !
Alors que je raconte l’histoire de Marzena Sowa - la scénariste d’un de mes livres qui n’existe pas -, je montre quelques dessins, une série de hiboux, des forêts, des gribouillis, des trucs relativement aboutis, je vois cette brochette d’enfants aux mines excitées, qui se pressent pour me désigner leurs hiboux préférés, survoltés par le moindre croquis d’écureuil ou de hérisson.
Merde me suis-je dit, ces dessins sont dans des cartons depuis 4 ans...
Qu’est-ce que je fous ?
Histoire de les voir encore rigoler un peu, j’envoie un film tiré d’un workshop d’animation mené avec des gosses. Mauvais fichier, gnnn c’est quoi ça ? Han, un film dont j’avais complètement oublié l’existence...
Grosse rigolade.
Je tente même de montrer un truc animé "aussi pour les grands, c’est moins rigolo...", regards en coin, non, ils suivent.... "oooh c’est beau madame".
(cf Loon-plage et cie...)
"Impressionnant" dit la maîtresse, "vous-même !" j’avais envie de dire à celle qui emmène en classe verte 30 gamins qui pissent encore dans leur culotte.
Puis la maîtresse aux enfants : "Vous avez vu il y a des métiers supers dans lesquels on fait ce qu’on aime, toute la journée !"
Voui, ouhla, est-ce que je rectifie ? Mmh non pas le temps tanpis.
C’est vrai que j’ai tout fait pour les laisser avec cette impression là, ok.
Et puis c’est vrai que j’ai de la chance.
Bon sur le retour, j’ai envie d’appeler Marzena et de lui promettre monts et merveilles, mais avant je réfléchis quand même au programme...
Bon, et alors qu’est-ce que je fous ?!
Oui, et surtout, Qu’est-ce que j’ai foutu depuis 4 ans ?
Et bien, pas RIEN en tout cas.
J’avais dit que j’y reviendrai.
Voilà, j’y reviens :
Le dernier signe d’activité sur le site, c’est la sortie d’un disque, il y a deux ans plus ou moins, printemps 2017, ça a l’air de rien, c’était plutôt confidentiel, mais ça m’a pris une énergie dingue, d’ici j’avoue, je ne me rappelle plus très bien pourquoi... En tout cas j’ai un peu dérouillé.
Et ensuite, ça ne s’est pas du tout calmé, parce qu’en même temps, on signait pour une maison construite en 1901, rénovée dans les années 80 et laissée à l’abandon depuis 2 ans je crois. Du coup, le temps de terminer l’année à l’école (cf le vrai taf), et nous voilà perchés sur des échafaudages à détapisser. Et ça c’était juste le début... C’est comme... les enfants par exemple, heureusement qu’on te raconte pas à l’avance comment ça va se passer parce que tu dis non c’est sûr. Et ce serait dommage. Ou pas. Donc on ne sait pas, on est pris dedans, et puis on encaisse. On porte, on compte, on fait des plans, on bosse, le jour, le soir, le weekend, en gérant des petits qui pissent encore dans leurs couches.
C’est aussi pile poil l’année où je passe de 4h à 12h de cours à l’école. Ahah. Et comme je suis ultra motivée, je construis des cours, des nouveaux intitulés tout ça. (cf le site su cours)
Quand je peux, il y a la radio, le truc de trop que j’aime trop.
Et puis quand même quelques concerts... (cf Payne )
Ah oui, j’oublie l’académie en piano classique, à bosser du Rachmaninov et du Poulenc. Tendinites VS Rachmaninov VS finir les travaux : j’ai un peu pleuré j’avoue.
Je mène quand même tout ce bordel jusqu’à la fin de l’année suivante, avec l’école, les jurys tout ça, bam.
Les travaux, ça dure, normal, bouffer de la poussière, croiser des ouvriers dans tes chiottes, payer des factures avec des sous que t’as pas...
Mais ça se termine. Et on est content de vivre enfin dans cette maison qu’on aime. Mais ça ne nous laisse pas super frais, de mon côté, j’ai le dos déglingué, les poignets en vrac et un mal à la tête en continu.
MAIS je me dis, voilà tu va enfin avoir du temps devant toi là , cooool !
Rentrée 2018, , nouvelle année, nouvelle vie, ouyeah !
À l’école je me retrouve avec plein d’étudiants, je suis flattée de les voir tous là, mais ça fait beaucoup.
Beaucoup oui. Mais ça ou autre chose, le problème, c’est que tout fait beaucoup quand on n’est pas reposé. En fait.
Je ne parle pas de se reposer de quelques semaines un peu speed, je parle d’une longue fatigue de compet’ doublée d’une bonne grosse fatigue morale.
Je pensais que ça allait passer, parce que je trouvais que ça allait plutôt bien : s’installer dans une maison que t’as retapé, avec ta petite famille, avoir un job qui te plaît, bosser des trucs qui te bottent - mmff quand tu peux -, avoir des vrai.e.s ami.e.s.... y’a plus frustrant comme vie.
Bref au fond, je sais pas tout à fait pourquoi, enfin si. À ce moment de ma vie où pour la première fois les choses apparaissent "à l’équilibre", voire idéales à peu de choses près. Où sous un soleil doux dans un petit jardin avec un café soudain je me dis "putain j’ai de la chance".
Je sais pas j’ai baissé la garde ? Parce qu’un peu soudainement aussi, tout s’est un peu effondré. Peut-être un espace enfin pour que"ça" soit là. Bref.
Il est venu un moment où c’était plus possible. Quoi ? Bah plus rien : Plus rien n’était possible. J’ai pleuré en continu, partout.
Trop démontée, trop vulnérable. Et aussi, trop en colère, trop fatiguée, et affaiblie, super angoissée, et je sais pas quoi encore. Mais tout en même temps. Et puis un contexte général parfois tellement anxiogène il faut le dire.
D’abord j’ai voulu un masque. Pour pouvoir continuer incognito. Et puis après j’ai voulu une retraite, longue. Seule. Arrêter le temps, ne plus voir personne, et tenter de ramasser tout ce qui venait de péter. Essayer de faire le point. Refaire le puzzle.
Du silence, à l’intérieur, autour. Plus de gens, plus d’enfants, plus d’agenda, plus de mail, ne plus exister, ou si, juste pour moi.
Bon, faute de prendre la retraite de mes rêves, j’ai pu m’arrêter. J’ai plus rien foutu, pas longtemps, 2-3 semaines. Non c’est pas vrai, j’ai lu, j’ai rangé, et j’ai dessiné. Et joué du piano. Mais au ralenti.
Je crois que j’ai une bonne capacité de résilience, mais là je me trompe peut-être encore.
Voilà. Donc j’ai failli tout jeter, j’ai tout gardé.
Tout ça pour ça ? Eh bah oui.
J’ai juste encore ralenti.
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