Joanna Lorho

Le problème des autodidactes.

Juin 2014

commentaire

Ces derniers temps, je n’ai même pas réussi à formuler ma colère.
Et ça, ça n’est pas bon signe.
Quand j’ai bien les boules, je lâche une phrase ou deux sur les réseaux sociaux, et après ça va mieux.
Mais là, j’ai vraiment senti la colère me bouffer les tripes. Et franchement je m’en serai bien passée.
Soit.
C’est passé, plus ou moins, et j’ai bon espoir qu’avec la fin de Kijé cette rage s’en aille. Ou s’apaise.
Ca peut paraître illusoire mais je sais encore à quoi ce projet reste relié et je souhaite plus que tout qu’avec la fin du projet, une partie de mon passé se détache et fasse sa vie. Comme le film.
10 ans.
Cela dit, je dois admettre qu’il y a une certaine manière de fonctionner chez moi par rapport à la création qui m’épuise. Je me trouve tellement nulle, chaque fois, et ça me met dans un tel état que je me dis que ça va finir par me filer le cancer.
Mais surtout, c’est tellement éprouvant que je me dis "Ok, plus jamais, je ne fais plus jamais AUCUN projet de ma vie."
Et je me demande sincèrement dans quelle mesure je ne dois pas considérer ça avec sérieux. Mais une fois cette grosse crise passée, ça va. Finalement j’arrive à produire quelque chose, j’y trouve du plaisir, en tout cas, j’atteins un état consciencieux assez agréable, et bon, pour le résultat... je fais avec.
Mais je suis toujours très perplexe quand je vois cette crise revenir et m’emporter.
Systématiquement.
Evidemment j’ai un bon gros complexe de l’artiste qui n’a jamais produit un truc vraiment abouti, et qui n’est pas vraiment calé quelque part.
Les concerts de musique classiques m’émeuvent pour ça précisément, j’admire et j’envie à mourir ces musiciens qui dominent leur pratique.
Bref, ça n’est pas dans mes cordes.
Ahah.
SOIT.
Donc, après une interminable phase de bouclage des images de Kijé, est venu le temps de penser à finaliser la musique et le son...
Un aspect que je repoussais et qui se tassait comme une chaussette perdue derrière un tiroir.
Un coup à même pas réussir à se réjouir d’en avoir fini avec les images ! Fini l’animation tout ça, after effect, tvpaint, tout ça terminé ! Un truc de fou !
Mais non.
Un phénomène qui s’est répété plusieurs fois durant la réalisation de ce film : les aspects pour lesquels je ne savais pas trop comment j’allais m’en tirer, je les mettais de coté. Et forcément au moment de remettre les mains dedans je me dis "ca y est, là c’est l’étape qui va tout faire foirer, je croyais que j’allais y arriver, mais non, ça je sais vraiment pas putain."
Alors, ça n’est pas comme si j’étais toute seule pour faire ça, il y a des cerveaux adaptés à la situation qui vont aussi prendre le truc en main. Seulement, Kijé, avec son côté atypique, disons carrément inadapté, est difficile à communiquer.
Ce n’est pas comme si on devait faire une chouette musique et un bruitage classique. Si j’avais mieux lu Michel Chion alors je me la péterai avec des "diégétique ou extradiégétique"...mais finalement ça ne ferait pas avancer la situation non plus.
Bref.
Ici justement, il n’y a pas de son réel, non on ne va pas bruiter des bruits de pas ou de porte qui se ferme. Et après ça se complique. Quel son fait ma ville ? Et le cortège par quoi il se fait entendre ? Comment j’indique leur présence ?
( Et c’est le moment où je retourne voir une de mes scènes favorites : "Paprika - Show time ! " Satoshi Kon ou encore celle-ci )
).
Résultat, un tas de choses dont il faut inventer la présence sonore car elle est nécessaire à la compréhension du film.
Je pense, mais ça reste à débattre, que je vais traiter un maximum de "présence" à travers la musique.
En tout cas c’est ce que j’ai tenté de faire ces derniers jours. Avec les moyens du bord... à coup de "pour dire ça ce serait une voix d’homme - mais je le fais avec ma voix de femme un peu pitchée -, et ça on imagine que c’est une flûte - huhu, avec "son flûte"- Ici on imagine qu’on mettra de la distance entre tel son et tel son et un effet de reverbération comme si le son montait d’une rue profonde...".
Maintenant, il faut que je rende communicable tout ce que j’ai tenté de faire ces derniers jours et ensuite on croise les doigts pour qu’à trois cerveaux on arrive à donner de la gueule à ce film.
Amen.
Ci-joint un bout de la maquette en plastique. Met ton casque si tu veux du détail.

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