Joanna Lorho

Das tasten krokodil

Janvier 2014

commentaire

Dans les souvenirs qui me reviennent régulièrement à l’esprit, il y a celui assez flou d’un stage de piano, je ne sais pas pourquoi mais il est tenace.
J’avais 6 ans, et avant de se lancer dans "la grande aventure" (traduire : avant de dépenser plusieurs milliers de francs dans un piano et dans des cours), mes parents voulaient un peu "tester le truc".
Je me retrouve donc dans une sorte de boutique de pianos, sombre, avec de la moquette au sol et des plantes en plastique dans la vitrine. En tout cas il y avait des pianos partout, loin d’être un rêve en fait.
J’ai un assez mauvais souvenir de ces quelques jours où on avait affaire à un moustachu impatient genre Michel Blanc, je ne sais pas si c’est son physique ramassé ou son mauvais caractère qui me fait faire l’association, les deux à mon avis.
J’ai un très mauvais souvenir de cet homme partial parce qu’il m’avait mis de côté.
Il m’arrivait d’attendre toute seule dans la boutique pendant qu’il montrait des trucs aux autres enfants.
Tout ça est assez flou vu les années, mais j’ai quelques souvenirs précis de cette semaine : d’abord, un moment désagréable où il ma demandé de crier devant les autres parce qu’il trouvait que je ne parlais pas assez fort. Ca avait l’air de l’agacer prodigieusement, alors il m’a demandé de crier un bon coup devant tout le monde, comme si ça allait déboucher quelque chose, c’est précisément une chose pour laquelle je suis super coincée, donc je n’ai pas crié.
Je me rappelle du discours qu’il a tenu à mes parents devant sa boutique le dernier jour : "Aucune musicalité, en plus elle est gauchère, mal latéralisée, à mon avis, le piano c’est pas pour elle."
Sauf que malgré ce bonhomme tout à fait limité dans ses jugements, j’avais complètement flashé.
C’est le troisième souvenir : il y a cette brunette un peu plus grande que moi à qui Michel apprend un morceau dans un bouquin de partitions qu’il nous avait tous fait acheter "Das tasten krokodil". J’étais à côté et j’écoutais.
Ce morceau, c’était le truc le plus beau que j’avais jamais entendu. Il doit être fait pour faire flasher les gosses parce que quand je l’ai enfin joué, plus tard, même ma soeur a voulu se mettre au piano, j’ai son écriture de gosse sur la partition.
Oui parce que du coup j’ai ressorti cette partition et je l’ai rejoué en me demandant bien comment ça sonnait alors.
J’ai pouffé de rire en le déchiffrant, j’avais une pensée pour ma soeur et je me voyais kiffer ce truc du haut de mes 7 ans. J’ai de nouveau entendu le morceau au fur et à mesure que je le déchiffrais, ahah, la suite harmonique, je me suis dit Putain, on dirait du Polnareff ! Ahahah !
Bref.
Comme quoi, le piano, ça ne tient pas à grand chose.

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